L’entrée en établissement pour personnes âgées soulève de nombreuses questions patrimoniales, particulièrement pour les détenteurs d’un usufruit. Cette situation fréquente peut devenir source d’inquiétudes tant pour les seniors que pour leurs proches. Entre obligations légales, implications financières et droits des parties concernées, démêler l’écheveau juridique s’avère indispensable. Voici tout ce qu’il faut savoir sur le devenir de l’usufruit lors d’un placement en EHPAD[1] ou en résidence seniors.
Comprendre l’usufruit : définition et principes fondamentaux
L’usufruit constitue un droit réel qui permet à son titulaire, l’usufruitier, de jouir d’un bien dont une autre personne, le nu-propriétaire, possède la propriété. C’est un mécanisme juridique fréquemment utilisé dans les successions et donations.
Qu’est-ce que l’usufruit exactement ?
L’usufruit se définit comme le droit d’utiliser un bien et d’en percevoir les fruits (loyers, dividendes, récoltes) sans en être propriétaire. L’article 578 du Code civil précise que « l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance ».
L’usufruitier bénéficie donc de deux prérogatives essentielles :
- Le droit d’usage (usus) : possibilité d’utiliser le bien
- Le droit aux fruits (fructus) : capacité à percevoir les revenus générés par le bien
Le nu-propriétaire, quant à lui, conserve l’abusus, c’est-à-dire le droit de disposer du bien, mais ne peut ni l’utiliser ni en percevoir les revenus tant que dure l’usufruit.

Les différentes formes d’usufruit
L’usufruit peut être établi de plusieurs façons :
- L’usufruit légal : attribué automatiquement par la loi, comme l’usufruit du conjoint survivant
- L’usufruit conventionnel : créé par contrat entre les parties
- L’usufruit viager : s’éteignant au décès de l’usufruitier
- L’usufruit temporaire : limité à une durée prédéterminée
📊 Le saviez-vous ?
Selon l’Insee, environ 3 millions de ménages en France détiennent un bien en démembrement de propriété (usufruit + nue-propriété).
Le départ en maison de retraite : quelles conséquences sur l’usufruit ?
Contrairement à une idée reçue, l’entrée en EHPAD ou en résidence seniors n’entraîne pas automatiquement l’extinction de l’usufruit. La situation varie selon plusieurs facteurs.
Principe fondamental : l’usufruit est maintenu
Le placement en établissement spécialisé ne constitue pas, en soi, une cause d’extinction de l’usufruit prévue par la loi. L’article 617 du Code civil énumère limitativement les causes d’extinction, parmi lesquelles ne figure pas l’entrée en institution.
Ainsi, même si l’usufruitier ne réside plus dans le bien, il conserve théoriquement tous ses droits et reste tenu à toutes ses obligations, notamment :
- L’entretien courant du bien
- Le paiement des charges d’usage (taxes d’habitation, charges de copropriété courantes)
- La perception des revenus si le bien est loué
Cas particulier de la résidence principale
Si le bien en usufruit constituait la résidence principale de la personne âgée avant son entrée en établissement, plusieurs options se présentent :
- Conserver le logement inoccupé : l’usufruitier garde ses droits mais doit continuer à assumer les charges
- Mettre le bien en location : l’usufruitier perçoit les loyers qui peuvent contribuer à financer le séjour en établissement
- Vendre l’usufruit : possible avec l’accord du nu-propriétaire, cette option permet de récupérer un capital
- Abandonner l’usufruit : démarche volontaire qui peut être envisagée si les charges deviennent trop lourdes
Les options juridiques face à un usufruit devenu problématique
Lorsque la gestion de l’usufruit devient complexe suite à l’entrée en institution, plusieurs solutions juridiques existent.
La renonciation à l’usufruit
L’usufruitier peut renoncer volontairement à son droit d’usufruit. Cette renonciation doit être :
- Expresse et non équivoque
- Constatée par acte notarié
- Enregistrée auprès du service de publicité foncière si elle concerne un bien immobilier
Attention : cette renonciation est irrévocable et constitue une donation au nu-propriétaire, avec des conséquences fiscales potentielles.
La vente de l’usufruit ou de la pleine propriété
Deux options principales existent pour la vente d’un bien démembré :
- Vente de l’usufruit seul : l’usufruitier peut céder son droit à un tiers avec l’accord du nu-propriétaire. Le produit de cette vente lui revient intégralement.
- Vente de la pleine propriété : elle nécessite l’accord conjoint de l’usufruitier et du nu-propriétaire. En théorie, cette répartition est libre et peut être fixée par convention entre les parties. En pratique, pour éviter tout litige et toute requalification fiscale (par exemple en donation déguisée), les notaires utilisent généralement le barème fiscal de l’article 669 du Code général des impôts, qui attribue une valeur à l’usufruit et à la nue-propriété selon l’âge de l’usufruitier.
| Âge de l’usufruitier | Valeur de l’usufruit | Valeur de la nue-propriété |
| Moins de 21 ans | 90% | 10% |
| De 71 à 80 ans | 30% | 70% |
| De 81 à 90 ans | 20% | 80% |
| Plus de 91 ans | 10% | 90% |
La conversion de l’usufruit
L’article 759 du Code civil prévoit la possibilité de convertir l’usufruit du conjoint survivant en rente viagère. Cette conversion peut également se faire en capital. Elle peut intervenir :
- À l’amiable, par accord entre l’usufruitier et le nu-propriétaire
- Par décision judiciaire, à la demande de l’une des parties
Cette solution présente l’avantage de fournir des liquidités à l’usufruitier pour financer son hébergement en établissement.
Exemple concret : conversion de l’usufruit en rente viagère
Depuis le décès de son mari, Mme Martin, 80 ans, est usufruitière d’une maison estimée à 200 000 €. Ses enfants en sont nus-propriétaires.
- Valeur fiscale de l’usufruit (barème de l’article 669 du CGI) : à 80 ans → 30 % de la pleine propriété.
- Valeur de l’usufruit = 200 000 × 30 % = 60 000 €.
- Valeur de la nue-propriété = 140 000 €.
- Conversion en rente viagère :
Les nus-propriétaires veulent récupérer immédiatement la pleine propriété libre de toute charge.
Ils acceptent de verser à Mme Martin une rente viagère calculée à partir de la valeur de l’usufruit (60 000 €) et de son espérance de vie. - Espérance de vie moyenne à 80 ans : environ 10 ans (selon les tables de mortalité INSEE).
- Montant mensuel approximatif de la rente : 60 000 € ÷ (10 ans × 12 mois) ≈ 500 €/mois.
Concrètement : les enfants nus-propriétaires paient 500 € par mois à leur mère usufruitière. En échange, ils deviennent immédiatement pleins propriétaires de la maison.
À noter : le montant exact de la rente peut varier selon la table de mortalité utilisée, l’âge précis et les recommandations du notaire.

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Face à ces différentes possibilités, il peut être difficile de choisir la meilleure solution. Voici un tableau comparatif des options courantes, avec leurs avantages et leurs limites :
| Option | Avantages | Inconvénients |
|---|---|---|
| Conserver le logement vide | Pas de démarches particulières | Charges continues Ne génère pas de revenus |
| Mettre le bien en location | Revenus réguliers pour financer l’EHPAD | Gestion locative à prévoir (entretien, déclarations fiscales) |
| Vendre l’usufruit | Apporte un capital immédiat à l’usufruitier | Difficile à valoriser et à trouver un acquéreur seul |
| Vendre la pleine propriété (avec accord du nu-propriétaire) | Liquidités importantes pour financer les frais | Perte définitive du bien familial |
| Conversion de l’usufruit en rente viagère | Revenu garanti et régulier | Décision irréversible Dépend de l’âge et de la valeur du bien en situation de démembrement |
Implications financières et fiscales
L’entrée en maison de retraite d’un usufruitier entraîne diverses conséquences financières qu’il convient d’anticiper.
Le financement du séjour en établissement
Le coût mensuel d’un EHPAD oscillant généralement entre 1 800€ et 3 000€, le financement représente un enjeu majeur. Les revenus de l’usufruit peuvent y contribuer, notamment :
- Les loyers perçus si le bien est mis en location
- Le capital obtenu en cas de vente de l’usufruit
- La rente viagère issue d’une conversion d’usufruit
En cas de ressources insuffisantes, l’aide sociale[2] peut être sollicitée, mais attention : elle est récupérable sur succession et peut conduire à la prise d’une hypothèque sur les biens de la personne aidée.
Fiscalité et usufruit
Sur le plan fiscal, plusieurs points méritent attention :
- Impôt[3] sur le revenu : les revenus générés par le bien en usufruit (loyers notamment) restent imposables au nom de l’usufruitier
- Taxe foncière : elle demeure à la charge du nu-propriétaire, sauf convention contraire
- Taxe d’habitation : supprimée sur les résidences principales depuis 2023, elle reste due sur les résidences secondaires et logements vacants
- IFI (Impôt sur la Fortune Immobilière) : l’usufruitier doit déclarer le bien pour sa valeur en pleine propriété s’il s’agit d’un usufruit légal (conjoint survivant) ; dans les autres cas, la valeur est calculée selon le barème de l’article 669 du CGI
La renonciation à l’usufruit peut être considérée fiscalement comme une donation au nu-propriétaire, avec application potentielle de droits de donation.
Protéger les intérêts de tous : bonnes pratiques et conseils
Face à ces situations complexes, quelques recommandations s’imposent pour préserver l’équilibre entre les droits de l’usufruitier et ceux du nu-propriétaire.
Anticiper et communiquer
La clé d’une gestion sereine réside dans l’anticipation :
- Organiser une réunion familiale pour discuter ouvertement de la situation
- Envisager les différents scénarios possibles avant que l’entrée en établissement ne devienne urgente
- Consulter un notaire pour évaluer les options juridiques les plus adaptées
Formaliser les accords
Toute décision concernant l’usufruit doit être formalisée :
- Établir une convention écrite entre usufruitier et nu-propriétaire
- Faire rédiger les actes nécessaires par un notaire
- Prévoir les modalités de répartition des charges et des revenus
Recourir aux dispositifs de protection juridique si nécessaire
Si l’usufruitier présente des troubles cognitifs, la mise en place d’une protection juridique peut s’avérer nécessaire :
- Habilitation familiale pour les situations simples
- Curatelle[4] lorsqu’une assistance est nécessaire
- Tutelle[5] en cas d’altération grave des facultés
Ces mesures permettront de sécuriser les décisions prises concernant l’usufruit.
| Mesure | Description | Avantage |
|---|---|---|
| Habilitation familiale | Permet à un proche (enfant, conjoint) d’agir à la place de l’usufruitier pour des démarches simples Par exemple signer un bail de location du logement dont il n’a plus la capacité de gérer seul | Procédure rapide, limitée au strict nécessaire |
| Curatelle | L’usufruitier conserve ses droits, mais est assisté par un curateur pour les actes importants (ex. mettre le bien en location, gérer les revenus) Pour les décisions lourdes comme la vente du logement ou la conversion de l’usufruit en rente, une autorisation du juge est obligatoire | Cela évite qu’il signe seul un acte défavorable ou qu’il se fasse abuser |
| Tutelle | Si les facultés sont gravement altérées, le tuteur représente intégralement l’usufruitier Il peut par exemple demander au juge l’autorisation de vendre le bien ou de convertir l’usufruit, toujours sous contrôle judiciaire | Garantie maximale : toutes les décisions patrimoniales passent par une validation du juge |
Situations particulières et jurisprudence
La jurisprudence a précisé plusieurs aspects relatifs à l’usufruit en cas d’entrée en établissement.
L’abandon de fait du logement
Certaines décisions judiciaires ont considéré que l’absence prolongée de l’usufruitier, notamment en cas de placement définitif en établissement spécialisé, pouvait constituer un défaut d’entretien justifiant une intervention du nu-propriétaire.
La Cour de cassation (3e chambre civile, 19 février 2014) a ainsi reconnu qu’un usufruitier qui n’occupe plus le logement et ne l’entretient pas peut être contraint de le mettre en location ou d’accepter une autre solution.
L’obligation alimentaire et l’usufruit
En cas de recours à l’aide sociale pour financer le séjour en EHPAD, les services départementaux peuvent solliciter les obligés alimentaires (enfants notamment). La question se pose alors de savoir si le nu-propriétaire, souvent descendant de l’usufruitier, peut être contraint de vendre le bien.
La jurisprudence considère généralement que l’obligation alimentaire[6] s’apprécie au regard des ressources réelles de l’obligé, indépendamment de la nue-propriété qu’il détient et qui ne génère pas de revenus.
Questions fréquentes sur l’usufruit et le placement en institution
L’usufruitier peut-il être contraint de quitter son logement ?
Non, l’entrée en établissement relève généralement d’une décision volontaire ou médicalement nécessaire, mais n’est jamais imposée par le nu-propriétaire. L’usufruitier conserve son droit d’usage du logement, même s’il ne l’exerce plus effectivement.
Le nu-propriétaire peut-il s’opposer à la mise en location du bien ?
En principe, non. L’usufruitier dispose du droit de louer le bien sans nécessiter l’accord du nu-propriétaire. Toutefois, pour les baux de longue durée (plus de 9 ans), l’accord du nu-propriétaire devient nécessaire.
Les revenus de l’usufruit sont-ils saisis pour payer la maison de retraite ?
Ces revenus appartiennent à l’usufruitier et contribuent naturellement à ses ressources pour financer son hébergement. Toutefois, ils ne font pas l’objet d’une saisie automatique par l’établissement. En cas d’aide sociale, le département peut demander la mise à disposition d’une partie des revenus de l’usufruit pour financer l’hébergement, tout en laissant un minimum de ressources à la personne âgée. Le pourcentage exact dépend des règles fixées par chaque département. .
En définitive, l’entrée en maison de retraite ne modifie pas fondamentalement les droits et obligations liés à l’usufruit, mais nécessite souvent des aménagement
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[1] EHPAD
Les EHPAD sont des établissements médicalisés qui accueillent des personnes âgées qui ont besoin de soins médicaux réguliers et d’une aide dans leur vie quotidienne.
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[2] Aide Sociale
L’aide sociale est une assistance financière fournie par l’État pour aider les personnes en difficulté à couvrir des besoins essentiels, comme le logement ou les soins en établissement.
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[3] Impôt
L’impôt est une somme d’argent que les citoyens et les entreprises paient régulièrement au gouvernement. Cet argent est utilisé pour financer des services publics comme les écoles, les routes, et…
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[4] Curatelle
La curatelle est une mesure qui aide une personne vulnérable à gérer ses affaires, tout en lui permettant de garder une certaine indépendance.
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[5] Tutelle
La tutelle est un mesure de protection judiciaire où une personne est désignée pour prendre soin des affaires personnelles et financières d’une personne qui ne peut plus le faire elle-même…
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L’obligation alimentaire désigne l’obligation légale pour les membres d’une famille de soutenir financièrement les proches en difficulté.
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