L’entrée en Ehpad[1] (Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes) s’impose souvent comme un sujet brûlant dans les familles, surtout lorsque la personne âgée dépendante relève d’une mesure de protection juridique. La tutelle[2], la plus stricte de ces mesures, vise à préserver l’intégrité et la dignité du majeur protégé, souvent frappé d’Alzheimer[3], d’incapacité à se défendre, ou d’impossibilité à organiser son quotidien. La loi française, particulièrement protectrice, encadre de façon rigoureuse toute décision qui toucherait au lieu de vie de la personne sous tutelle.

Dans cet article, nous vous expliquons comment ces règles s’appliquent concrètement, qui peut décider du placement en EHPAD et quelles démarches suivre pour protéger au mieux votre proche, afin de prendre des décisions éclairées et sereines pour son bien-être.

Qui détient le pouvoir de décision ?

La question taraude : qui, du tuteur, du juge, de la famille ou de la personne concernée, tient la plume pour signer l’admission ? En réalité, le processus ressemble à un chemin balisé, jalonné d’étapes et de contrôles. Plusieurs acteurs gravitent autour de la personne sous tutelle ; chacun a sa place, son rôle, ses limites.

  • La personne protégée : Si elle conserve la faculté d’exprimer clairement sa volonté, son choix prévaut. Le tuteur et le juge doivent respecter cette préférence, tant que la sécurité et l’intérêt de la personne ne sont pas compromis.
  • Le tuteur : Il gère le quotidien, les finances, les démarches administratives. Il propose, informe, prépare le dossier, mais ne décide jamais seul d’un placement en Ehpad quand la personne s’y oppose ou ne peut consentir.
  • Le juge des contentieux de la protection (ex-juge des tutelles[4]) : Ultime arbitre, il tranche en cas de conflit, de refus, ou d’incapacité à consentir. Son intervention garantit un contrôle indépendant et impartial.
senior organisant le placement en EHPAD du majeur protégé

Le principe : liberté du choix du lieu de vie

Le Code civil, dans son article 459-2, pose une règle claire : le majeur protégé choisit lui-même son lieu de résidence. Cette règle n’est pas une simple formalité juridique. Elle traduit la volonté du législateur de restreindre les placements arbitraires, d’éviter les dérives, les pressions familiales ou institutionnelles. Tant que le maintien à domicile[5] reste possible, il doit être privilégié. La loi impose d’explorer d’abord toutes les alternatives : aides à domicile, adaptation du logement, réseau familial, services sociaux.

Tout bascule lorsque la personne, du fait d’un trouble cognitif majeur ou d’une pathologie évolutive, ne peut plus exprimer un consentement libre et éclairé. À ce stade, la décision sort du cercle familial. Elle entre dans le champ de la protection judiciaire.

Procédure de placement : étapes, preuves et arbitrages

Le placement en Ehpad d’un majeur sous tutelle suit une procédure précise, structurée autour de trois axes : l’avis médical, la saisine du juge, l’évaluation de l’intérêt supérieur de la personne.

  1. Expertise médicale : Un certificat médical circonstancié, établi par un médecin (souvent gériatre ou expert agréé), doit attester de la perte de capacité à consentir ou du risque majeur en cas de maintien à domicile. Ce document pèse lourd dans la balance décisionnelle.
  2. Saisine du juge : Le tuteur transmet au juge un dossier complet : certificat médical, note sur les conditions de vie, projet de placement, état des ressources, éventuelles alternatives envisagées. Le juge peut auditionner la personne, entendre les proches, consulter le tuteur. Il arbitre, autorise ou refuse, toujours au nom de l’intérêt du majeur.
  3. Signature du contrat : Si le juge donne son feu vert, il délivre une ordonnance permettant au tuteur de signer le contrat d’hébergement au nom de la personne protégée. L’établissement ne peut formaliser l’entrée sans ce document.

Famille, proches, et rôle des institutions

La famille reste consultée, écoutée, associée au processus. Mais le dernier mot n’est ni à la fratrie, ni aux enfants, ni même au tuteur. Le juge, seul, tranche en cas de désaccord ou de blocage. Cette centralisation vise à désamorcer les tensions et à prévenir les conflits d’intérêts.

Les CLIC[6] (Centres Locaux d’Information et de Coordination), les associations de protection juridique, les travailleurs sociaux accompagnent familles et tuteurs dans la constitution des dossiers, l’orientation, le suivi administratif. Un appui souvent précieux, voire décisif pour les proches dépassés par la complexité des démarches.

seniors souhaitant entrer en EHPAD

LIRE AUSSI : Faut-il l’accord de tous les enfants pour placer un parent en EHPAD ?

Questions fréquentes et points de vigilance

Le consentement est-il toujours exigé ?

Non. Si la personne sous tutelle conserve sa lucidité, son consentement est recherché et respecté. En cas d’incapacité ou de refus mettant sa santé en jeu, seule une décision du juge fondée sur un avis médical peut autoriser le placement malgré elle.

Le tuteur peut-il agir sans le juge ?

Non, dans le cadre d’un refus de la personne protégée ou de l’impossibilité d’obtenir un consentement clair, le tuteur doit impérativement saisir le juge. Toute signature de contrat d’Ehpad sans autorisation judiciaire serait nulle.

Quels documents sont nécessaires ?

  • Décision de mise sous tutelle
  • Certificat médical circonstancié
  • Ordonnance du juge autorisant le placement (si requis)
  • Dossier administratif d’admission en Ehpad

Le logement de la personne est-il systématiquement vendu ?

Non. Le Code civil privilégie la conservation du logement tant que cela ne nuit pas à l’intérêt du majeur protégé. Vente ou mise en location n’interviennent qu’en dernier recours, par décision du juge, pour financer l’hébergement ou alléger des charges disproportionnées.

Peut-on anticiper un futur placement ?

Oui. Le mandat de protection future permet à toute personne de désigner à l’avance un mandataire et d’exprimer ses souhaits concernant son éventuel lieu de vie. Ce dispositif, encore trop méconnu, offre une vraie sécurité contre les placements non désirés.

Résumé du processus décisionnel

SituationDécisionnaireDocuments clés
Personne sous tutelle capable de consentirPersonne protégée (avec appui du tuteur)Décision de tutelle, consentement écrit
Personne sous tutelle incapable de consentir ou refusantJuge des contentieux de la protection (sur proposition du tuteur)Décision de tutelle, certificat médical, ordonnance du juge

Ce que garantit la loi : protection, contrôle, dignité

Chaque étape du placement en Ehpad sous tutelle obéit à une double logique : protéger la personne vulnérable, et garantir que nul ne sera déplacé contre son gré, sans motif médical avéré et sans contrôle judiciaire. Le consentement, quand il peut être recueilli, reste la pierre angulaire. Le juge, ultime rempart, s’assure que l’intérêt du majeur protégé prime sur tout le reste.

Dans la pratique, le chemin est rarement linéaire. Les familles, parfois déchirées, se heurtent à la complexité du droit, à la lenteur des institutions, au poids de la maladie. Mais le système, malgré ses lourdeurs, tend à limiter les placements forcés et à préserver ce qui reste de liberté à la personne la plus fragile. Un équilibre délicat, sans solution miracle, mais avec un socle solide : la loi, et l’humain derrière chaque dossier.

Article relu par l’équipe éditoriale avec le concours d’un contributeur expert médico-social chez Cap Retraite. Son expérience de terrain et sa connaissance des dispositifs d’aide et d’accompagnement permettant d’apporter un regard fiable et pertinent aux lecteurs.

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