Perdre la capacité de gérer ses affaires personnelles bouleverse une vie. Lorsque la justice place un adulte sous tutelle, la question de l’argent devient centrale, parfois source d’inquiétude ou de conflits familiaux. Les sommes reçues (pension, retraite, allocations, revenus immobiliers) changent de mains. Leur gestion, encadrée par la loi, doit servir uniquement la personne protégée. Mais où va réellement cet argent ? Quels garde-fous existent ? Et comment agir si la suspicion d’abus émerge ?

Gestion quotidienne : des règles strictes, peu de place pour l’improvisation

La nomination d’un tuteur répond à un constat : la personne ne peut plus défendre ses intérêts seule. L’ensemble de son patrimoine (comptes bancaires, épargne, biens mobiliers ou immobiliers) passe sous la vigilance du tuteur, désigné par le juge des contentieux de la protection

Du loyer aux loisirs : des dépenses justifiées et surveillées

Dès le début, un inventaire complet des avoirs doit être dressé, puis mis à jour régulièrement. Chaque dépense, du loyer à l’abonnement téléphonique, doit être justifiable.

  • L’argent est affecté en priorité à l’entretien courant : hébergement, soins, alimentation, assurances, transports.
  • Les dépenses personnelles, loisirs, petits achats, sont possibles, dans la limite des ressources disponibles.
  • Une épargne de précaution peut être constituée si les revenus le permettent.
tutrice utilisant l'argent du majeur protégé pour des petits achats

Des comptes séparés pour une transparence totale

Le tuteur ne doit pas mélanger ses propres comptes et ceux du majeur

  • si le majeur n’a pas de compte, le tuteur doit lui en ouvrir un au nom du majeur ; 
  • si le majeur a déjà un compte, principe du maintien du compte existant, sauf autorisation du juge pour certaines opérations.

Décisions importantes : le juge veille, la famille peut participer

La gestion ne se résume pas à payer les factures. Certains actes nécessitent l’aval du magistrat : vendre un bien immobilier, réaliser un placement conséquent, clôturer un compte. Le juge des contentieux de la protection contrôle ces opérations. Il peut refuser ou imposer des conditions, toujours dans l’objectif de préserver le patrimoine ou d’assurer un meilleur confort à la personne protégée.

La famille garde un droit de regard. Un frère, une fille, un proche peuvent demander la consultation des comptes, à condition de justifier d’un intérêt légitime. Ce contrôle familial, souvent source d’apaisement, évite aussi les situations de gestion opaque.

Comptabilité annuelle : transparence et obligation de rendre des comptes

Chaque année, le tuteur rédige un compte de gestion détaillé. Ce document recense toutes les recettes (pensions, loyers, aides sociales) et toutes les dépenses, avec justificatifs à l’appui. Le magistrat, parfois assisté du subrogé tuteur ou du procureur, vérifie la cohérence des opérations et la conformité aux besoins de la personne.

Les justificatifs (factures, relevés bancaires, baux, contrats) sont conservés au moins cinq ans. Cette traçabilité décourage les abus, mais elle exige aussi une rigueur quotidienne, une organisation sans faille – surtout pour les proches désignés tuteurs, souvent peu préparés à cet exercice.

En cas d’abus : signes d’alerte et démarches à engager

Des prélèvements inexpliqués, des achats inhabituels, un train de vie soudainement réduit… Plusieurs indices peuvent évoquer une mauvaise gestion, voire un abus de faiblesse ou un détournement de fonds. Le Code pénal (article 223-15-2) réprime sévèrement l’abus de faiblesse, notamment lorsque la vulnérabilité de la personne protégée est exploitée à des fins personnelles.

  • L’auteur doit avoir eu conscience de l’état de faiblesse et agir de façon frauduleuse.
  • Le préjudice doit être grave, patrimonial ou moral.
  • La responsabilité du tuteur peut être engagée au civil (réparation du préjudice) comme au pénal (sanctions pénales).

Face au doute, le réflexe : saisir le juge des contentieux de la protection. Un courrier, exposant les faits avec clarté, suffit pour déclencher une vérification. S’il existe un subrogé tuteur, il doit alerter le juge sans délai. En cas de soupçon de fraude caractérisée, la plainte peut être déposée auprès du procureur de la République. La prescription court à partir du dernier acte frauduleux constaté, ce qui laisse le temps d’agir même après plusieurs années.

femme senior signalant un abus de faiblesse au sujet de sa mère âgée sous tutelle

Sanctions et conséquences pour le tuteur fautif

En cas d’abus avéré, le juge peut suspendre ou révoquer le tuteur, voire l’interdire d’exercer à nouveau. Les sanctions pénales vont jusqu’à 3 ans de prison et 375 000 euros d’amende (plus si l’auteur appartient à certains groupes ou exerce une influence particulière). Sur le plan civil, les héritiers ou la personne protégée peuvent réclamer réparation du préjudice subi.

L’assurance professionnelle du tuteur, si elle existe, peut être sollicitée pour indemniser la victime. Par ailleurs, tous les actes réalisés sans respect des procédures légales (vente sans autorisation, ouverture de compte non validée) peuvent être annulés.

Rémunération du tuteur et transmission du patrimoine

Un tuteur professionnel perçoit une rémunération fixée par décret, prélevée sur les fonds de la personne protégée. Un tuteur familial, lui, exerce en principe à titre gratuit, sauf décision contraire du juge. Le patrimoine, à la disparition de la personne, suit les règles de la succession classique : rien ne change quant aux droits des héritiers.

Outils et bonnes pratiques pour une gestion sécurisée

La digitalisation offre des solutions concrètes, notamment pour les associations tutélaires ou les familles débordées. Des plateformes spécialisées permettent de centraliser les paiements, limiter l’utilisation d’espèces, paramétrer des cartes de retrait plafonnées. L’objectif : tout tracer, tout justifier, tout sécuriser, réduire la charge administrative. Les professionnels s’en emparent pour limiter les erreurs et rassurer les proches.

Un suivi régulier du niveau de vie, un dialogue ouvert avec le tuteur, l’appui d’un notaire ou d’un expert-comptable en cas de doute, restent essentiels pour éviter les dérives.

Tableau récapitulatif : qui fait quoi, qui contrôle quoi ?

ActeurRôle principalContrôle exercé
Tuteur/CurateurGestion quotidienne des fonds, paiement des dépenses, préservation du patrimoineRend compte au juge, tient la comptabilité, justifie chaque dépense
juge des contentieux de la protectionSupervise, autorise les actes importants, statue sur les litigesVérifie le compte de gestion, peut diligenter des enquêtes
Subrogé tuteurSurveille le tuteur principal, alerte en cas d’abusObligation de signalement au juge
Famille/ProchesPeut consulter les comptes, alerter le jugeContrôle informel, droit de recours
Procureur de la RépubliqueInstruit les plaintes pénalesPeut engager des poursuites

FAQ pratique – tutelle et argent : vos questions, des réponses concrètes

Peut-on savoir facilement comment est dépensé l’argent d’un proche sous tutelle ?

Oui, toute personne intéressée et légitime (en général un héritier ou un proche) peut demander au juge la consultation du compte de gestion annuel. Le tuteur doit être en mesure de produire tous les justificatifs.

Quels signes doivent alerter sur un possible abus ?

  • Chute soudaine du niveau de vie
  • Absence de justificatifs pour des retraits importants
  • Refus de communiquer sur la gestion
  • Vente de biens sans informations à la famille
  • Dépenses manifestement sans lien avec les besoins de la personne

Qui saisir en priorité si l’on a un doute sur la gestion ?

Le juge des contentieux de la protection reste l’interlocuteur central. Un courrier circonstancié, accompagné de pièces (relevés, témoignages), permet de lancer une vérification.

Le tuteur peut-il être poursuivi en justice ?

Oui, à la fois sur le plan civil (pour obtenir réparation) et sur le plan pénal (abus de faiblesse, détournement de fonds). Les sanctions peuvent être lourdes.

Transparence, contrôle, vigilance : la gestion de l’argent sous tutelle[1] ne tolère pas l’approximation. Un système pensé pour protéger les plus fragiles, mais qui exige la mobilisation de tous, professionnels comme familles, pour éviter les failles.

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Commentaires (24)

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  1. tahri abdelaziz et simone

    Pourquoi je ne peux savoir combien mon mari tutelle ,possède sur son compte? La famille voudrait nous voir et nous avons besoin de nous réunir en famille on ne nous donne pas un rendez-vous à L’UDAF on a besoin de partir en vacances dans la famille.

    Répondre
    1. Amandine

      Bonjour

      Je vous remercie pour votre commentaire.
      Seul le tuteur peut consulter les comptes, mais vous pouvez demander une information ou un rendez-vous auprès du juge des tutelles ou de l’UDAF.
      Bonne journée.
      Amandine

      Répondre
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