Autour de la table, les regards se croisent. Les mots hésitent. Un proche vieillit, oublie, se trompe, s’agace, se referme. Une angoisse sourde s’installe : et si c’était Alzheimer ? Pourtant, quand le diagnostic se profile ou que la suspicion grandit, le déni s’invite trop souvent. Chez la personne concernée, mais aussi chez ses proches. Par peur, par instinct de protection, parfois par lassitude. Engager la conversation devient alors un défi. Comment parler, sans blesser ni braquer, quand la réalité de la maladie d’Alzheimer[1] ne veut pas (ou ne peut pas) être nommée ?
Le déni : un mécanisme de défense tenace
Alzheimer bouleverse tout : la mémoire, l’identité, les relations. Face à l’annonce, la tentation du déni surgit. Ce refus d’admettre la maladie ne relève pas de la mauvaise foi. Il s’agit d’un réflexe humain, un rempart contre l’angoisse de la perte et de la dépendance[2]. La personne touchée minimise ses oublis, invoque la fatigue, l’âge, le stress. Les proches, eux, oscillent entre inquiétude, colère, parfois culpabilité. L’acceptation ne se décrète pas. Elle se construit, à petits pas.
- Le malade nie, se protège d’une réalité trop lourde à porter.
- Les aidants cherchent des explications rationnelles, espèrent un diagnostic différent.
- L’entourage craint de bouleverser l’équilibre familial fragile.

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Comprendre la maladie pour mieux en parler
Avant d’ouvrir la discussion, saisir ce qu’est Alzheimer s’impose. Cette pathologie neurodégénérative, la plus fréquente après 60 ans, touche d’abord la mémoire récente. L’hippocampe s’abîme, les connexions neuronales s’effacent. Progressivement, le langage, la reconnaissance, l’orientation, puis la personnalité entière vacillent. En France, plus d’un million de personnes vivent aujourd’hui avec la maladie. Chaque année, 225 000 nouveaux cas. La courbe grimpe, l’enjeu de santé publique devient massif.
Les symptômes avancent à leur rythme. Oublis bénins d’abord, puis pertes de repères, troubles du langage, gestes maladroits, désorientation. Parfois, des accès d’agressivité ou d’irritabilité surprennent. Le malade ne mémorise plus, confond passé et présent, s’inquiète de ce qui lui échappe. Parler de la maladie, c’est aussi parler de cette évolution, sans dramatiser, mais sans mentir non plus.
Les premières clefs d’un dialogue apaisé
Difficile de savoir comment amorcer la discussion. Les mots manquent. On craint d’en dire trop, ou pas assez. Pourtant, certains principes facilitent le premier pas.
- Choisir le bon moment : éviter les périodes de fatigue, de tension, de confusion. Privilégier un instant calme, familier. Un lieu rassurant, une atmosphère détendue.
- Parler avec douceur : employer des phrases courtes, simples. Ne pas accuser, ne pas forcer. Exprimer ses inquiétudes en « je », jamais en « tu » ou « vous » qui culpabilisent.
- Écouter avant tout : laisser la place au ressenti de l’autre. Accepter ses silences, ses dérobades. Laisser les émotions s’exprimer, sans jugement.
- Rappeler son soutien : affirmer sa présence, répéter qu’on reste là, quoi qu’il arrive. La maladie isole, la parole réchauffe.
Quand le déni persiste : stratégies pour avancer malgré tout
Parfois, aucune discussion ne débouche sur l’acceptation. Le proche refuse d’entendre, se ferme, s’emporte même. La patience devient alors l’alliée la plus précieuse. Forcer, insister, confronter brutalement : rarement utile, souvent source de conflits. L’empathie, la répétition douce, la reformulation aident davantage.
- Utiliser la communication non verbale : gestes, sourires, regards rassurants. Parfois, un simple contact vaut mille explications.
- Proposer des activités partagées : jeux de mémoire, promenades, tâches simples. L’échange se fait alors sans mots, mais rapproche.
- Aborder la maladie par petites touches : évoquer un rendez-vous médical, un oubli précis, une difficulté concrète vécue ensemble. Ne pas tout dire d’un bloc.
- Solliciter l’avis d’un professionnel : médecin traitant, psychologue, infirmier à domicile. Leur parole pèse, rassure, éclaire parfois différemment.

L’impact du déni sur la famille et la dynamique d’aidance
Le déni ne touche pas que le malade. L’entourage aussi s’enferme parfois dans le silence ou la minimisation. On reporte les démarches, on retarde l’appel à l’aide extérieure. La honte, la peur du regard social, la fatigue émotionnelle pèsent. Chez les conjoints, seuls 4 sur 10 acceptent une aide à domicile[3], même lorsque l’épuisement guette. Or, l’isolement aggrave tout : stress, colère, culpabilité, tristesse profonde. Se soutenir, c’est aussi accepter ses propres failles.
Les proches traversent des états psychologiques successifs : refus, colère, sentiment d’impuissance, regrets, résignation, puis finalement organisation. Parfois, la demande d’aide professionnelle marque un tournant. Elle soulage, redonne de l’air, améliore la qualité de vie de chacun.
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Ressources et appuis pour sortir de l’isolement
Même sans acceptation pleine, de nombreux dispositifs existent pour accompagner la maladie au quotidien. Le remboursement intégral des soins pour Alzheimer, l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA), la carte d’invalidité, les aides au stationnement, le congé familial pour les aidants : autant de leviers pour alléger la charge. Les services d’aide à domicile proposent des interventions sur-mesure : aide à la toilette, aux repas, ménage, garde de nuit, accompagnement lors des sorties ou rendez-vous médicaux.
Les équipes spécialisées savent établir un lien de confiance et proposer des solutions adaptées, parfois mieux acceptées lorsqu’elles viennent de l’extérieur. L’accès à ces aides, encore trop peu sollicité, représente pourtant un relais essentiel.
Conseils pratiques : engager la discussion sans heurter
| Situation fréquente | Attitude recommandée | Exemple de formulation |
|---|---|---|
| Le proche nie ses oublis | Rester factuel, éviter le reproche | « J’ai remarqué qu’il t’arrive d’oublier certaines choses, as-tu remarqué cela aussi ? » |
| Refus d’aller chez le médecin | Proposer un bilan de routine, rassurer | « Ce serait bien de faire un petit point santé, comme chaque année, pour être tranquille. » |
| Colère ou agitation soudaine | Éviter l’escalade, apaiser, changer de sujet si besoin | « Je vois que tu es contrarié, on peut en reparler plus tard si tu veux. » |
| Incompréhension d’une situation | Reformuler, contextualiser avec bienveillance | « Parfois, il est difficile de se souvenir de tout, tu n’es pas seul. » |
Questions fréquentes : Alzheimer, déni et relations familiales
Comment distinguer un simple oubli du début d’Alzheimer ?
Les oublis isolés, sans impact sur la vie quotidienne, relèvent souvent du vieillissement normal. Quand les oublis deviennent fréquents, concernent des informations récentes, s’accompagnent de désorientation, de difficultés à effectuer des tâches courantes, une consultation s’impose.
Que faire si la personne refuse toute aide extérieure ?
Respecter son rythme, proposer d’abord une aide ponctuelle, valoriser les bénéfices concrets (moins de fatigue, plus de sécurité). Impliquer un professionnel de santé peut faciliter la démarche.
L’agressivité ou l’irritabilité doivent-elles inquiéter ?
Ces réactions surviennent fréquemment, liées à la perte de repères et à l’angoisse. Rester calme, ne pas répondre par la confrontation. Si l’agressivité devient régulière ou met en danger, en parler au médecin.
Quels sont les soutiens psychologiques pour les aidants ?
Des associations proposent écoute et groupes de parole : France Alzheimer, plateformes d’accompagnement et de répit, psychologues spécialisés. Prendre soin de soi reste indispensable pour accompagner au mieux.
Préserver le lien, malgré le déni
Lorsque la maladie avance, que le déni s’installe, le dialogue n’est jamais simple. Pourtant, chaque mot posé, chaque geste tendre, chaque regard sincère compte. Parler, c’est déjà agir. Accepter l’aide, se relayer, se faire confiance. Dans la tempête, la bienveillance protège les liens et maintient debout ceux qui vacillent.
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[1] Alzheimer
La maladie d’Alzheimer est une maladie qui affecte le cerveau, entraînant des pertes de mémoire et des difficultés à penser clairement, rendant progressivement les tâches quotidiennes plus difficiles.
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[2] Dépendance
La dépendance de la personne âgée désigne le besoin d’aide pour réaliser les tâches de la vie quotidienne en raison de problèmes physiques ou mentaux.
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[3] Aide à domicile
L’aide à domicile est un service qui accompagne les personnes chez elles en leur apportant une assistance pour les tâches de la vie courante, comme le ménage, les courses, ou…
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Étant allée à France Alzheimer, je trouve vos écrits réels et justes. Merci beaucoup pour toutes les personnes qui en ont besoin…