L’infarctus intestinal, ou ischémie mésentérique aiguë (IMA), représente une urgence vitale encore trop méconnue du grand public. Cette pathologie grave, comparable à un AVC[1] ou un infarctus du myocarde mais touchant le système digestif, nécessite une prise en charge extrêmement rapide. Chaque année en France, près de 10 000 personnes sont touchées par cette affection dont le taux de mortalité s’avère dramatiquement élevé en l’absence de traitement immédiat. La reconnaissance précoce des symptômes peut littéralement faire la différence entre la vie et la mort.

Comprendre l’infarctus intestinal : mécanismes et causes

L’ischémie mésentérique aiguë : définition et processus

L’infarctus intestinal, appelé ischémie mésentérique aiguë, correspond à une interruption brutale ou progressive de l’apport sanguin vers l’intestin. Cette privation d’oxygène entraîne rapidement une souffrance des tissus intestinaux qui, sans rétablissement de la circulation, évolue vers une nécrose irréversible.

On distingue deux formes principales :

  • La forme aiguë : survient soudainement et évolue très rapidement
  • La forme chronique : s’installe progressivement avec des symptômes plus insidieux
infarctus de l'intestin chronique

Anatomie et vascularisation digestive

Pour comprendre cette pathologie, il faut s’intéresser à la vascularisation de l’intestin. L’apport sanguin est principalement assuré par :

  • L’artère mésentérique supérieure qui irrigue l’intestin grêle et une partie du côlon
  • L’artère mésentérique inférieure qui alimente la partie gauche du côlon
  • Le tronc cœliaque qui dessert l’estomac, le foie et la rate

Certaines zones, comme l’angle colique gauche ou certaines portions de l’intestin grêle, sont particulièrement vulnérables à l’ischémie en raison d’une vascularisation plus précaire.

Les mécanismes à l’origine de l’infarctus intestinal

Plusieurs mécanismes peuvent provoquer un infarctus intestinal :

  • Obstruction artérielle : par embolie (migration d’un caillot), thrombose locale (formation d’un caillot sur place) ou athérosclérose avancée
  • Obstruction veineuse : phlébite mésentérique
  • Causes non occlusives : état de choc, hypotension sévère, usage de certains médicaments vasoconstricteurs ou de drogues

Les conséquences de cette ischémie sont graves : altération de la barrière intestinale, passage de bactéries dans la circulation sanguine et risque de défaillance multiviscérale pouvant rapidement conduire au décès.

Personnes à risque : qui est concerné par l’infarctus intestinal ?

Profils à haut risque

Certaines personnes présentent un risque accru de développer un infarctus intestinal :

  • Les personnes âgées, particulièrement après 70 ans
  • Les patients souffrant de maladies cardiovasculaires : insuffisance cardiaque, arythmie (notamment fibrillation auriculaire), valvulopathies, antécédents d’infarctus du myocarde
  • Les personnes présentant des facteurs de risque métaboliques : diabète, hypertension artérielle, hypercholestérolémie, obésité, syndrome métabolique
  • Les fumeurs et personnes ayant des antécédents d’athérosclérose
  • Les patients atteints de troubles de la coagulation, de maladies inflammatoires, d’insuffisance rénale ou cardiaque, ou d’hypertension portale

Quand suspecter un infarctus intestinal ?

Chez les personnes à risque, toute douleur abdominale intense et inhabituelle doit faire évoquer la possibilité d’un infarctus intestinal, surtout si elle s’accompagne d’autres symptômes digestifs et généraux décrits ci-dessous.

Reconnaître les symptômes d’un infarctus intestinal

Signes d’alerte de la forme aiguë

La forme aiguë se manifeste par des symptômes brutaux et intenses :

  • Une douleur abdominale extrêmement violente, souvent disproportionnée par rapport aux signes physiques observés lors de l’examen
  • Des nausées et vomissements persistants
  • Des diarrhées, parfois sanglantes
  • Des ballonnements importants
  • La présence de sang dans les selles
  • Des signes généraux : fièvre, sueurs, pâleur, malaise pouvant aller jusqu’à l’état de choc

Un signe caractéristique est l’intensité de la douleur qui nécessite souvent le recours à des antalgiques puissants comme la morphine.

Symptômes insidieux de la forme chronique

La forme chronique présente des manifestations plus progressives :

  • Des douleurs abdominales récurrentes, survenant typiquement après les repas (douleurs postprandiales)
  • Un amaigrissement rapide et inexpliqué
  • Une peur de s’alimenter (sitophobie) conduisant à une dénutrition[2]
  • Une diminution progressive des apports alimentaires

Évolution des symptômes

L’évolution des symptômes dépend du degré d’obstruction vasculaire :

  • En cas d’obstruction complète, l’aggravation est très rapide avec risque de nécrose intestinale en 4 à 6 heures seulement
  • Si l’obstruction est partielle, l’évolution peut être plus lente
  • Sans traitement, le risque de perforation intestinale, de péritonite et de choc septique augmente considérablement
femme senior présentant les signes d'un infarctus de l'intestin

Diagnostic : comment confirmer un infarctus intestinal ?

L’importance cruciale du diagnostic précoce

Le diagnostic d’infarctus intestinal est souvent difficile à poser rapidement pour plusieurs raisons :

  • Les symptômes peuvent être trompeurs et ressembler à d’autres pathologies digestives
  • L’errance diagnostique est fréquente, retardant la prise en charge

Face à toute douleur abdominale intense, particulièrement chez un patient présentant des facteurs de risque, il est impératif d’évoquer ce diagnostic.

Examens diagnostiques de référence

Plusieurs examens permettent de confirmer le diagnostic :

  • Le scanner abdominal avec injection (angio-TDM) : examen de référence permettant de visualiser les vaisseaux mésentériques, la souffrance intestinale, la nécrose éventuelle ou une perforation
  • L’angiographie mésentérique ou l’angio-IRM en alternative
  • Les marqueurs sanguins comme le lactate ou les CPK, qui sont peu spécifiques et augmentent tardivement
  • La laparotomie exploratrice en cas de signes de péritonite ou de doute diagnostic persistant

Traitement et prise en charge : une course contre la montre

Prise en charge initiale en urgence

Dès la suspicion d’infarctus intestinal, plusieurs mesures sont mises en place :

  • Une réanimation avec perfusion intraveineuse pour stabiliser l’état hémodynamique
  • L’administration d’antibiotiques à large spectre pour prévenir ou traiter l’infection
  • Une surveillance rapprochée des constantes vitales
  • La mobilisation d’une équipe multidisciplinaire comprenant urgentistes, chirurgiens digestifs et vasculaires, radiologues interventionnels

Restauration du flux sanguin

L’objectif prioritaire est de rétablir la circulation sanguine vers l’intestin :

  • Par chirurgie vasculaire : embolectomie (retrait du caillot), pontage
  • Par radiologie interventionnelle : aspiration du caillot, pose de stent, thrombolyse, administration de vasodilatateurs
  • Mise en place d’un traitement anticoagulant et antiplaquettaire au long cours pour prévenir les récidives

Chirurgie en cas de nécrose

Si des segments intestinaux sont déjà nécrosés, une intervention chirurgicale s’impose :

  • Résection des portions intestinales non viables
  • Laparotomie de « second look » généralement programmée 24 à 48h après la première intervention pour réévaluer la viabilité intestinale
  • Gestion des séquelles : mise en place d’une nutrition parentérale, création d’une stomie temporaire ou définitive, prise en charge d’un syndrome du grêle court

Pronostic et complications : quelles conséquences ?

Un pronostic vital sérieusement engagé

L’infarctus intestinal reste une pathologie extrêmement grave :

  • Sans traitement, la mortalité avoisine les 100%
  • Même avec une prise en charge optimale, le taux de survie varie considérablement (entre 35 et 80% selon les centres et la précocité du diagnostic)
  • Les séquelles peuvent être importantes : insuffisance intestinale nécessitant une nutrition artificielle prolongée, stomie définitive

Complications majeures

Plusieurs complications graves peuvent survenir :

  • Nécrose intestinale irréversible nécessitant des résections étendues
  • Péritonite par perforation intestinale
  • Choc septique et défaillance multiviscérale
  • Arrêt cardiaque dans les cas les plus sévères

Prévention : réduire les risques d’infarctus intestinal

Contrôle des facteurs de risque cardiovasculaires

La prévention passe avant tout par la gestion des facteurs de risque :

  • Adoption d’une alimentation équilibrée de type méditerranéenne
  • Pratique régulière d’une activité physique adaptée
  • Maintien d’un poids normal
  • Arrêt du tabac et limitation de la consommation d’alcool
  • Évitement strict des drogues vasoconstrictrices
  • Suivi médical régulier avec prise en charge optimale des maladies chroniques (diabète, hypertension, hypercholestérolémie)

LIRE AUSSI : 7 aliments à éviter après un infarctus chez les seniors

Surveillance des patients à risque

Pour les personnes présentant des facteurs de risque élevés :

  • Dépistage et traitement précoce des maladies vasculaires digestives
  • Éducation à la reconnaissance des symptômes d’alerte
  • Information des professionnels de santé sur cette pathologie encore sous-diagnostiquée

Points essentiels à retenir et conduite à tenir

Face à cette urgence médicale absolue, quelques points clés sont à mémoriser :

  • Toute douleur abdominale intense et brutale, surtout chez une personne à risque, doit faire suspecter un infarctus intestinal
  • Il faut appeler immédiatement les secours (15, 112 ou 114) sans attendre une évolution des symptômes
  • La rapidité de prise en charge est le facteur déterminant pour la survie et la limitation des séquelles
  • Ne pas hésiter à mentionner explicitement cette suspicion aux équipes médicales

Questions fréquentes sur l’infarctus intestinal

Peut-on guérir complètement d’un infarctus intestinal ?

La guérison complète est possible si le diagnostic est très précoce et que la revascularisation intervient avant la nécrose intestinale. Dans les cas où une résection intestinale a été nécessaire, des séquelles fonctionnelles peuvent persister à long terme.

Quels sont les signes qui doivent alerter en priorité ?

Une douleur abdominale brutale et disproportionnée par rapport à l’examen clinique, surtout si elle s’accompagne de nausées, vomissements ou présence de sang dans les selles, doit conduire à consulter en urgence.

L’infarctus intestinal peut-il récidiver ?

Oui, sans traitement des facteurs de risque sous-jacents et sans anticoagulation adaptée, le risque de récidive existe. Un suivi médical rigoureux est indispensable après un premier épisode.

Comment vivre après une résection intestinale importante ?

Selon l’étendue de la résection, différentes adaptations peuvent être nécessaires : régime alimentaire spécifique, supplémentation en vitamines et minéraux, nutrition parentérale dans les cas les plus sévères. Une prise en charge par une équipe spécialisée en nutrition est souvent indispensable.

L’infarctus intestinal reste une pathologie grave dont le pronostic dépend essentiellement de la rapidité du diagnostic et de la prise en charge. Face à des symptômes évocateurs, particulièrement chez les personnes présentant des facteurs de risque, l’urgence de la consultation médicale ne doit jamais être sous-estimée. Les avancées en matière de techniques de revascularisation et de réanimation ont permis d’améliorer le pronostic ces dernières années, mais la sensibilisation du grand public et des professionnels de santé demeure un enjeu majeur pour réduire la mortalité liée à cette affection.

Sources : 

Inserm, dossier santé sur les ischémies digestives

Vidal.fr – Fiche professionnelle sur l’ischémie mésentérique

Journal of Vascular Surgery, 2017, “Acute mesenteric ischemia: Contemporary analysis and management”

Société Nationale Française de Gastro-Entérologie (SNFGE)

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Commentaires (2)

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  1. Sophie Dubé

    Ma soeur âgée de 82 ans souffre de colite ischemique. Elle demeure en Abitibi. Elle se retrouve souvent à l’urgence de l’hôpital. Avant hier, elle a eu une crise de colite; diarrhées, sang dans les selles, vomissements, douleurs très fortes pendant plusieurs heures. Bien sûr , elle est allée à l’urgence. Cela fait plusieurs mois qu’elle a cette maladie et qu’elle fait des crises de colite. Elle devra avoir une chirurgie à Montréal qui est à 7 heures de route de l’Abitibi. Le chirurgien de Montréal lui a dit qu’elle ne pourra pas pas pas être opéré tant qu’elle ne sera pas complètement bloqué. À l’hôpital où elle va à chaque crise, on lui dit qu’elle sera transféré en urgence à Montréal si elle est bloqué. Ma soeur est inquiète, elle veut avoir des informations sur comment elle va le savoir quand ce sera complètement bloqué, sera-il trop tard pour la chirurgie,, etc…on ne lui répond pas.

    Répondre
    1. Amandine

      Bonjour

      Je vous remercie pour votre commentaire.
      Pour savoir quand une colite ischémique nécessite une chirurgie, il faut rester en contact étroit avec son médecin ou l’hôpital, qui évaluera l’urgence selon l’évolution des symptômes.
      Bonne journée.
      Amandine

      Répondre

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