Le système fiscal français a longtemps offert aux retraités un avantage significatif avec l’abattement de 10% sur leurs revenus imposables. Mis en place il y a près de cinq décennies, ce dispositif représentait une bouffée d’oxygène pour des millions de seniors. Aujourd’hui, sa remise en question dans le cadre des réflexions budgétaires récentes fait trembler 8,4 millions de foyers fiscaux. Face aux déficits publics persistants, le gouvernement envisage de supprimer cette niche fiscale qui coûte 4 milliards d’euros annuels à l’État. Les conséquences s’annoncent particulièrement douloureuses pour de nombreux retraités qui verront leur feuille d’impôt[1] s’alourdir considérablement.

L’abattement de 10% : histoire d’un avantage fiscal menacé

Pour comprendre l’ampleur de ce qui se joue aujourd’hui, un retour aux origines de cette mesure s’impose. L’abattement fiscal de 10% pour les retraités n’est pas apparu par hasard dans notre paysage fiscal.

Genèse d’une mesure emblématique du système fiscal français

C’est sous le gouvernement de Raymond Barre, en 1978, que cette disposition a vu le jour. À l’époque, l’objectif était clair : alléger la pression fiscale pesant sur les personnes âgées dont les revenus diminuaient significativement après la cessation d’activité. Cette mesure s’inscrivait dans une politique plus large visant à préserver le pouvoir d’achat des retraités dans un contexte économique difficile.

L’abattement de 10% pour les retraités a été conçu en miroir de la déduction forfaitaire pour frais professionnels dont bénéficient les salariés actifs. La logique était de maintenir une forme d’équité fiscale entre actifs et retraités, même si les justifications différaient. Pour les actifs, cette déduction vise à compenser les dépenses liées à l’exercice d’une profession, tandis que pour les retraités, elle prenait en compte les charges spécifiques liées à l’âge et à la perte de revenus.

calcul de l'abattement fiscal de 10%

Un pilier du système fiscal actuel

Au fil des décennies, cet abattement est devenu un élément structurant du calcul de l’impôt sur le revenu pour les retraités. Il s’applique automatiquement aux pensions, retraites et rentes viagères à titre gratuit, avec un plafond qui a évolué au fil du temps. En 2024, ce plafond s’établit à 4 123 euros par foyer fiscal.

Pour de nombreux retraités, particulièrement ceux aux revenus modestes ou moyens, cette réduction représente un allègement fiscal non négligeable qui contribue à maintenir leur niveau de vie. L’abattement s’est progressivement inscrit dans le paysage fiscal comme un acquis social, expliquant les vives réactions que suscite aujourd’hui sa possible suppression.

Première conséquence : un impact économique considérable pour des millions de foyers

La suppression de l’abattement de 10% pour les retraités ne constituerait pas un simple ajustement technique du code des impôts. Elle entraînerait des bouleversements économiques majeurs tant pour les finances publiques que pour les ménages concernés.

Une hausse d’impôts massive pour 8,4 millions de retraités

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 8,4 millions de foyers fiscaux comprenant des retraités seraient directement touchés par cette mesure. Pour ces contribuables, la suppression de l’abattement se traduirait mécaniquement par une augmentation de leur base imposable, et donc de leur impôt sur le revenu.

Concrètement, un retraité percevant une pension mensuelle de 2 000 euros verrait sa base imposable annuelle augmenter de 2 400 euros. Selon sa tranche marginale d’imposition, cela pourrait représenter plusieurs centaines d’euros d’impôts supplémentaires chaque année. Pour les retraités atteignant le plafond de l’abattement, la perte pourrait atteindre jusqu’à 1 500 euros annuels pour les plus imposés.

Impact estimé de la suppression de l’abattement de 10 %
Retraité type
Pension mensuelle
Abattement 10 % (annuel)
Revenu imposable actuel
Revenu imposable sans abattement
Écart d’impôt annuel estimé*
Retraité A
1 500 €
1 800 €
16 200 €
18 000 €
200 €
Retraité B
2 000 €
2 400 €
21 600 €
24 000 €
260 €
Retraité C
3 000 €
3 600 €
32 400 €
36 000 €
1 080 €
*Ces montants sont estimés pour un retraité vivant seul (1 part), sans autres revenus ni déductions. Le calcul repose sur les tranches marginales d’imposition en vigueur en 2024.

LIRE AUSSI : Abattement fiscal pour seniors et invalides : êtes-vous éligible en 2024 ?

Une manne financière de 4 milliards pour l’État

Du côté des finances publiques, la suppression de cette niche fiscale représenterait une économie substantielle estimée à 4 milliards d’euros par an. Dans un contexte de déficits publics persistants et de dette croissante, cette somme constitue une tentation forte pour le gouvernement.

Cette mesure s’inscrirait dans une stratégie plus large de réduction des dépenses fiscales, ces dispositifs dérogatoires qui viennent diminuer les recettes de l’État. Toutefois, la question se pose de savoir si cette économie budgétaire justifie l’impact social d’une telle décision.

Des effets variables selon les niveaux de revenus

L’impact de cette suppression ne serait pas uniforme. Les retraités les plus aisés, dont les pensions dépassent largement le plafond actuel de l’abattement, verraient leur avantage fiscal plafonné et donc leur perte limitée en valeur relative. En revanche, pour les retraités aux revenus modestes ou moyens, juste au-dessus du seuil d’imposition, cette suppression pourrait représenter une part significative de leur pouvoir d’achat disponible.

Certains retraités non imposables pourraient même basculer dans l’imposition du fait de cette mesure, avec des conséquences en cascade sur d’autres aspects de leur situation fiscale et sociale. L’effet serait particulièrement sensible pour les personnes seules, notamment les veufs et veuves, dont les charges fixes pèsent proportionnellement plus lourd dans le budget.

Deuxième conséquence : creusement des inégalités et impacts sociaux collatéraux

Au-delà de son aspect purement économique, la suppression de l’abattement de 10% soulève d’importantes questions d’équité sociale et pourrait accentuer certaines inégalités existantes.

Un fossé grandissant entre actifs et retraités

La suppression de cet abattement créerait une asymétrie dans le traitement fiscal des revenus. Les salariés continueraient de bénéficier de la déduction forfaitaire de 10% pour frais professionnels (ou de la déduction des frais réels), tandis que les retraités perdraient leur avantage équivalent.

Cette situation pourrait être perçue comme une double peine pour les retraités, qui subissent déjà une baisse de revenus lors du passage à la retraite. En moyenne, les pensions représentent environ 70% des derniers salaires perçus. Ajouter une pression fiscale supplémentaire accentuerait cette différence de traitement entre actifs et inactifs.

Effets en cascade sur la CSG et les prestations sociales

L’augmentation du revenu fiscal de référence (RFR) consécutive à la suppression de l’abattement aurait des répercussions bien au-delà du seul impôt sur le revenu. Ce RFR sert en effet de base au calcul de nombreux avantages sociaux et fiscaux.

Certains retraités pourraient ainsi voir leur taux de CSG augmenter, passant par exemple du taux réduit de 3,8% au taux normal de 6,6%, voire au taux majoré de 8,3%. D’autres pourraient perdre le bénéfice d’exonérations ou de réductions de taxe d’habitation (pour les résidences secondaires), de taxe foncière, ou encore voir diminuer certaines aides sociales conditionnées aux ressources.

La question des surcoûts liés à l’âge

Les défenseurs de l’abattement mettent en avant les charges spécifiques supportées par les personnes âgées. Avec l’avancée en âge, les dépenses de santé non remboursées augmentent significativement : complémentaires santé plus onéreuses, médicaments non remboursés, appareillages divers, aménagements du domicile…

À ces frais médicaux s’ajoutent souvent des besoins d’assistance à domicile, de services d’aide à la personne, ou même d’hébergement en établissement spécialisé dont les coûts peuvent être considérables. 

augmentation des soins chez les seniors

Cependant, l’abattement de 10 % n’a pas été initialement instauré pour compenser les dépenses liées à l’âge, comme les frais de santé ou de dépendance[2], mais pour préserver une certaine équité fiscale avec les actifs, dont les revenus du travail bénéficient de la déduction des frais professionnels.

💡 À noter : en parallèle de l’abattement de 10 %, plusieurs dispositifs fiscaux ou aides spécifiques permettent d’alléger la charge financière des retraités.

Aides fiscales et financières accessibles aux retraités
Aide/Dispositif
Conditions principales
Montant ou avantage
Abattement spécifique + 65 ans
Avoir 65 ans et un revenu < seuil RFR
  • RFR ≤ 17 510 € : 2 795 €
  • 17 510 € < RFR ≤ 28 170 € : 1 398 € (2025)
Crédit d’impôt emploi à domicile
Emploi direct ou prestataire agréé
50 % des dépenses, plafonnées à 12 000 € (+ majorations selon situation)
MaPrimeAdapt’
+ 60 ans avec perte d’autonomie, ressources modestes
Jusqu’à 50 ou 70 % des travaux (plafond 22 000 €)
Réduction d’impôt EHPAD[3]
Résider en établissement pour personnes dépendantes
25 % des frais d’hébergement (plafond 10 000 €)
Exonérations de CSG
Dépend du RFR et de la composition du foyer
Taux réduit (3,8 %), normal (6,6 %) ou majoré (8,3 %)

Troisième conséquence : un débat sociétal sur l’équité fiscale et les alternatives possibles

Face à la perspective de suppression de cet avantage fiscal, un vaste débat s’est ouvert sur la justice de notre système d’imposition et les alternatives envisageables.

Une mobilisation massive des organisations de retraités

L’annonce d’une possible suppression de l’abattement a provoqué une levée de boucliers des syndicats et associations représentant les retraités. Ces organisations dénoncent une mesure qu’elles jugent injuste et qui viendrait s’ajouter à d’autres décisions perçues comme défavorables aux seniors ces dernières années : gel des pensions, hausse de la CSG, sous-indexation par rapport à l’inflation…

Les manifestations et pétitions se multiplient pour défendre ce qu’ils considèrent comme un acquis social légitime. Ils pointent le risque de paupérisation d’une partie des retraités, particulièrement ceux qui se situent juste au-dessus du seuil de pauvreté et pour qui chaque euro compte.

Des propositions alternatives pour une réforme plus équitable

Face à la contestation, plusieurs pistes alternatives émergent dans le débat public. Certains économistes et responsables politiques suggèrent de conditionner l’abattement aux ressources plutôt que de le supprimer totalement. Cette solution permettrait de le maintenir pour les retraités modestes tout en le réduisant ou en le supprimant pour les plus aisés.

D’autres voix proposent de compenser la suppression de l’abattement par des mesures ciblées sur les dépenses spécifiques des personnes âgées : crédit d’impôt pour les dépenses de santé non remboursées, aides renforcées pour l’adaptation du logement, ou encore revalorisation des minima sociaux pour les retraités les plus fragiles.

Certains suggèrent de chercher des ressources fiscales ailleurs, notamment via une taxation accrue du patrimoine ou des revenus du capital, plutôt que de cibler les revenus des retraités qui ont cotisé tout au long de leur vie professionnelle.

Vers une refonte globale de la fiscalité des seniors ?

Le débat sur l’abattement de 10% s’inscrit dans une réflexion plus large sur la fiscalité des seniors dans une société vieillissante. Avec l’allongement de l’espérance de vie et la diversification des situations des retraités, certains experts plaident pour une approche plus globale et cohérente.

Il s’agirait de repenser l’ensemble de la fiscalité applicable aux personnes âgées en tenant compte de leurs besoins spécifiques, de la diversité de leurs ressources (pensions, revenus du patrimoine, épargne) et de leur capacité contributive réelle. Cette réflexion devrait intégrer le financement de la dépendance, défi majeur des prochaines décennies.

La question qui se pose fondamentalement est celle de la place que notre société souhaite accorder à ses aînés et de la manière dont la solidarité intergénérationnelle doit s’exprimer, y compris à travers le système fiscal.

La suppression de l’abattement fiscal de 10% pour les retraités constituerait un tournant majeur dans notre politique fiscale. Ses conséquences dépasseraient largement le cadre strictement budgétaire pour toucher au cœur du contrat social. Alors que le gouvernement cherche à réduire les déficits publics, l’équilibre entre effort demandé et justice sociale reste le défi central de cette réforme controversée. Les prochains mois seront décisifs pour l’avenir de ce dispositif qui, au-delà des chiffres, touche à la dignité et à la reconnaissance de ceux qui ont contribué toute leur vie à la prospérité collective.

Questions fréquentes

Quels retraités pourraient basculer dans l’impôt à cause de cette réforme ?

Ceux dont le revenu fiscal de référence était juste en dessous du seuil de la première tranche pourraient devenir imposables, notamment s’ils vivent seuls et n’ont pas d’autres déductions.

L’abattement de 10 % est-il cumulable avec d’autres dispositifs ?

Oui, il l’était. Il se cumule par exemple avec l’abattement pour personnes âgées de plus de 65 ans ayant de faibles revenus, ou avec l’exonération partielle de CSG, sous conditions.

Des retraités continueront-ils à bénéficier d’un abattement équivalent ?

Pas à ce jour. La suppression envisagée concernerait tous les retraités, mais des alternatives ciblées sur les retraités modestes sont débattues.

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Commentaires (2)

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  1. Jean-Pierre CUVELIER

    Les retraités ne sont pas des pantouflard. Ils animent nos associations, nos clubs sportifs sont une aide précieuse pour les parents actifs garde des enfants etc tout cela bénévolement sans rémunération ne comptant pas leurs frais de voiture ou autre
    Ils contribuent largement au fonctionnement de l’économie des actifs en les soulageant de leurs obligations, horaires, etc cette déduction n’est donc pas professionnelle mais elle est largement justifiée économiquement. Il faut l’appeler autrement.
    Signé un retraité actif dans plusieurs associations et qui travaille bénévolement autant que les salariés

    Répondre
  2. Pascal mermoud

    Tapé sur les retraites qui n on que leur dû et leur mérite n est pas la solution, surtout qu il participe à la société en étant actif,l expatriation de ces mêmes retraites,et je me pose la question,se sera un très grave échec des gouvernements,ou en sont les réformes d’état ?l idrogene pour payé toute la dette ?l état doit prendre ces décisions,mais les retraites aussi

    Répondre

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