Invisible pour beaucoup d’entreprises, la génération des seniors actifs avance pourtant à grands pas. Entre réformes successives et changements démographiques profonds, la France voit émerger un nouvel équilibre sur le marché du travail. À la clé : une transformation silencieuse qui pèsera lourd dans la structure des emplois et le rapport à l’expérience au sein des équipes. D’ici 2050, ce sont les plus de 55 ans qui représenteront près d’un tiers des actifs. Un chiffre qui questionne autant qu’il interpelle. Comment la société s’organise-t-elle pour intégrer cette réalité ? Quels défis, quels ajustements ? Les lignes bougent, souvent plus vite qu’on ne l’imagine.
Des courbes en hausse, des seuils jamais atteints
Depuis le début des années 2000, l’emploi des seniors connaît une progression constante. Le taux d’emploi des 55-64 ans, en 2024, atteint 60,4 % selon la Dares, un niveau inédit depuis un demi-siècle. Cette dynamique ne doit rien au hasard.
Les multiples réformes des retraites, repoussant l’âge de départ et allongeant la durée de cotisation, ont joué un rôle pivot. La Loi Fillon (2003), la Loi Woerth (2010), la Loi Touraine (2014), puis la réforme Borne (2023) : chaque étape a repoussé les limites, obligeant une part croissante de la population à rester en activité plus longtemps.
Le mouvement s’est accéléré ces dernières années comme le montre ce tableau :
| Année | Taux d’emploi des 55‑64 ans (%) | Taux d’activité* des 55‑59 ans (%) | Taux d’activité des 60‑64 ans (%) |
| 2000 | 31,0 | 53,0 | 17,0 |
| 2010 | 41,5 | 63,0 | 25,0 |
| 2014 | 50,0 | 72,0 | 32,0 |
| 2023 | 58,4 | 79,0 | 39,0 |
| 2024 | 60,4 | >80 | >40 |
Source : Dares 2024
*Le taux d’activité correspond à la part des personnes qui travaillent ou cherchent un emploi.
Le zoom démographique : un actif sur trois aura plus de 55 ans en 2050
En 2025, déjà un tiers des personnes en emploi ont plus de 50 ans. Selon les projections de l’Insee, cette part va continuer d’augmenter. D’ici 2050, le paysage du travail sera radicalement transformé : les plus de 55 ans pèseront pour un tiers des actifs.
Ce basculement démographique trouve sa source dans le vieillissement de la population, mais aussi dans la montée en puissance des dispositifs permettant de travailler plus longtemps, comme le cumul emploi-retraite ou la retraite progressive.
La pyramide des âges du travail se modifie. Les entreprises devront composer avec une structure très différente : plus de salariés expérimentés, davantage de carrières longues, une nécessité accrue d’adapter les conditions de travail et la formation continue.

Un retard français sur le plan européen
Malgré ce rattrapage, la France reste en retrait si l’on regarde l’Europe. Le taux d’emploi des 55-64 ans se situe toujours sous la moyenne de l’UE (65,2 %) et très loin derrière l’Allemagne (76,4 %) ou la Suède (près de 70 %).
- Les pays scandinaves et germaniques semblent avoir trouvé un équilibre entre maintien en emploi, adaptation des postes et lutte contre la précarité des fins de carrière.
- En France, le taux d’emploi des femmes seniors (58,7 %) rejoint la moyenne européenne, mais le déficit est net pour les hommes, près de dix points sous la référence continentale.
Plusieurs facteurs expliquent ces écarts. Les discriminations à l’embauche des seniors persistent, tout comme les stéréotypes sur l’obsolescence des compétences ou le supposé coût élevé des seniors. La difficulté à retrouver un poste après 55 ans reste un écueil majeur. La fameuse « barrière du CV » agit comme un filtre redoutable, surtout lorsque l’expérience est perçue comme un handicap plutôt qu’un atout.
Portrait en chiffres : activité, inactivité, retraite
À 55 ans, plus de 80 % des Français travaillent encore. À 61 ans, cette part tombe à la moitié. Entre ces deux âges, 21 % des seniors ne sont ni en emploi, ni à la retraite. Raisons de santé, situations transitoires, contraintes personnelles ou familiales, lassitude aussi parfois. Chez les femmes, l’inactivité hors retraite est plus fréquente, souvent motivée par le souhait de rester au foyer ou de répondre à des obligations familiales.
À 69 ans, la quasi-totalité est partie à la retraite (91 %), mais 6 % continuent une activité, principalement via le cumul emploi-retraite.
Sur l’ensemble de la tranche 55-69 ans, la répartition s’équilibre :
- 43 % en emploi (dont 4 % en cumul),
- 43 % à la retraite sans emploi,
- 14 % ni en emploi ni à la retraite.

Cumul emploi-retraite et poursuite d’activité : motivations et profils
Le dispositif du cumul emploi-retraite séduit chaque année davantage. En 2023, 13 % des retraités poursuivent une activité rémunérée. Le phénomène touche surtout les indépendants (un tiers d’entre eux, jusqu’à 42 % chez les professions libérales), mais aussi 10 % des salariés. Les femmes restent moins nombreuses à prolonger leur carrière après la retraite (11 % contre 15 % des hommes).
Pourquoi continuer ? Pour 38 %, la réponse tient à un besoin financier : compléter une pension jugée insuffisante, faire face à des charges ou des emprunts. Mais la dimension sociale n’est pas négligeable : 36 % évoquent la satisfaction tirée du travail, le maintien du lien social ou le plaisir d’exercer leur métier. Pour d’autres, c’est l’emploi du conjoint, la qualité du poste ou des raisons plus diffuses, comme le refus de décrocher trop tôt.
Chômage, revenus et inégalités persistantes
Le taux de chômage des seniors reste inférieur à la moyenne nationale, mais la situation masque de fortes disparités. Chez les 55-59 ans, il s’établit à 4,9 %, mais grimpe à 6,4 % pour les 60-64 ans. L’accès à l’emploi reste plus complexe après 55 ans, notamment pour les moins qualifiés ou ceux dont la santé s’est fragilisée. Les situations de découragement ou de retrait du marché du travail existent, souvent invisibles dans les statistiques classiques.
Côté rémunération, les salariés de 50 ans ou plus perçoivent en moyenne un salaire horaire supérieur de 15 % à celui des 30-49 ans. L’écart monte à +27 % pour les emplois qualifiés, mais se réduit à +3 % pour les moins qualifiés. Les hommes profitent davantage de cette prime à l’ancienneté (+19 %), tandis que l’avantage reste moindre pour les femmes (+9 %).
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Stéréotypes, discriminations : des freins tenaces à l’emploi des seniors
Les idées reçues sur les seniors ont la vie dure. Coût salarial trop élevé, adaptation numérique jugée insuffisante, difficulté à travailler sous la direction de plus jeunes… Ces stéréotypes, parfois intériorisés par les intéressés eux-mêmes, freinent l’intégration et la mobilité sur le marché du travail. Les femmes font face à des obstacles spécifiques, entre doutes sur leur légitimité à poursuivre une activité au-delà d’un certain âge et arbitrages familiaux plus fréquents.
Pourtant, les employeurs qui misent sur l’expérience constatent souvent un retour sur investissement : transmission des compétences, polyvalence, fidélité accrue. Certaines entreprises, notamment dans les services à la personne ou l’industrie, commencent à valoriser ces profils. Mais le chemin reste long, d’autant que la pénibilité et l’usure professionnelle n’épargnent pas les plus âgés.
Politiques publiques et initiatives pour l’emploi des seniors : vers une reconnaissance accrue
Face à la montée en puissance des seniors, les pouvoirs publics multiplient les dispositifs. Retraite progressive dès 60 ans, élargissement du cumul emploi-retraite, nouveaux contrats « CDI senior » votés en 2025… Les leviers se diversifient. La loi sur le partage de la valeur et la revalorisation du plafond de la Sécurité sociale modifient aussi l’épargne et la retraite des salariés.
Sur le terrain, les actions se multiplient : ateliers de valorisation de l’expérience organisés par l’Apec, parrainage de seniors par des actifs, immersions professionnelles dans les PME, diagnostics sur le maintien en emploi. Les branches professionnelles et les syndicats, eux, alertent sur l’« effet ciseaux » : des carrières plus longues, mais des entreprises pas toujours prêtes à garder les salariés jusqu’à l’âge légal.
Le marché du travail doit s’adapter à la nouvelle donne
Le vieillissement de la population active impose une adaptation rapide : améliorer les conditions de travail, aménager les fins de carrière, lutter contre la pénibilité, garantir la formation continue et favoriser les équipes intergénérationnelles.
Ce défi concerne autant les entreprises que l’ensemble du tissu social, qui doit se préparer à une présence croissante des seniors dans l’emploi.
FAQ pratique : emploi des plus de 55 ans
Quels sont les principaux dispositifs pour continuer à travailler après 60 ans ?
- Cumul emploi-retraite (avec conditions assouplies ces dernières années)
- Retraite progressive (possibilité de travailler à temps partiel en percevant une partie de sa pension, dès 60 ans sous conditions de durée)
- Nouveaux contrats « CDI senior » (prévu en 2027), spécialement pour l’embauche des demandeurs d’emploi de plus de 60 ans
Quels secteurs recrutent le plus de seniors ?
Services à la personne, santé, enseignement, industrie, conseil, secteurs en tension
Quelles sont les principales raisons pour lesquelles des seniors quittent le marché du travail avant la retraite ?
Les raisons principales sont la santé fragile ou invalidité, le découragement après de longs mois de recherche infructueuse, les contraintes familiales ou le désir de disponibilité, la formation ou la reconversion en cours.
Comment les entreprises peuvent-elles mieux intégrer les seniors ?
- Adapter les rythmes et les postes de travail
- Valoriser l’expérience et la transmission des savoir-faire
- Favoriser la formation continue, y compris sur le numérique
- Lutter activement contre les préjugés liés à l’âge
Sources
-Insee, Dares, Eurostat
-Enquêtes Emploi 2023
-Projections démographiques et rapports officiels du ministère du Travail
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