Placer un parent âgé en EHPAD[1] (Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes) représente souvent une étape délicate, où les tensions entre frères et sœurs peuvent ressurgir.

Derrière la question apparemment simple « Faut-il obtenir l’accord de tous les enfants pour ce placement ? » se cachent des désaccords récurrents, nourris par des visions différentes du bien-être du parent, des ressentiments anciens ou encore des inquiétudes financières.

Pour apaiser ces situations et avancer dans l’intérêt de la personne âgée, il est essentiel de connaître précisément ce que dit la loi, de comprendre comment les décisions se prennent en pratique et de disposer de solutions concrètes en cas de blocage.

Le cadre juridique du placement en EHPAD : principes fondamentaux

Avant d’aborder la question de l’accord des enfants, il est essentiel de comprendre le cadre légal qui régit l’entrée en EHPAD d’une personne âgée en France.

Le principe du consentement de la personne concernée

En droit français, le principe fondamental est que toute personne, quel que soit son âge, dispose du droit au respect de sa liberté individuelle. Ainsi, l’article L. 311-3 du Code de l’action sociale et des familles garantit à la personne âgée « le respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité, de sa sécurité et de son droit à aller et venir librement ».

Concrètement, cela signifie que le placement en EHPAD d’une personne âgée nécessite, en premier lieu, son consentement libre et éclairé. Le consentement de la personne concernée prime donc sur celui de ses enfants ou autres membres de la famille.

Le cas des personnes en capacité de consentir

Lorsque la personne âgée jouit de toutes ses facultés mentales et peut exprimer clairement sa volonté, la réponse à notre question initiale est simple : l’accord des enfants n’est pas juridiquement requis. C’est la personne âgée elle-même qui prend cette décision, même si, dans la pratique, elle consulte généralement ses proches.

Si la personne âgée refuse d’entrer en EHPAD alors que son état de santé le nécessiterait, les enfants ne peuvent pas l’y contraindre légalement, sauf dans des cas très spécifiques que nous aborderons plus loin.

La situation des personnes âgées qui ne peuvent plus consentir

La question se complexifie lorsque le parent âgé n’est plus en mesure d’exprimer un consentement éclairé en raison d’une altération de ses facultés mentales (maladie d’Alzheimer, démence sénile, etc.).

En l’absence de mesure de protection juridique

Si aucune mesure de protection juridique n’a été mise en place préalablement, la situation peut devenir problématique. Juridiquement, personne n’a le pouvoir de décider à la place de la personne âgée, même pas ses enfants.

Dans ce cas, il est recommandé d’engager une procédure auprès du juge des contentieux de la protection (ancien juge des tutelles[2]) pour mettre en place une mesure de protection adaptée :

  • La sauvegarde de justice : mesure temporaire qui permet de protéger rapidement la personne
  • La curatelle[3] : pour les personnes qui ont besoin d’être conseillées ou contrôlées dans certains actes
  • La tutelle[4] : pour les personnes qui ne peuvent plus agir par elles-mêmes et doivent être représentées de manière continue

En présence d’une mesure de protection juridique

Si le parent est déjà sous un régime de protection, le principe de base reste celui posé par l’article 459-2 du Code civil : « la personne protégée choisit le lieu de sa résidence ».

Si la personne peut exprimer sa volonté : son choix doit être respecté, même sous tutelle ou curatelle.

Si elle est incapable de s’exprimer ou de donner son accord, c’est le représentant légal désigné par le juge qui prendra les décisions relatives au placement en EHPAD :

  • Si c’est un tuteur familial (l’un des enfants par exemple), il devra prendre cette décision dans l’intérêt exclusif de la personne protégée
  • Si c’est un tuteur professionnel (mandataire judiciaire à la protection des majeurs), il consultera généralement la famille mais reste seul décisionnaire légalement

Le tuteur ou curateur doit obtenir l’autorisation du juge des contentieux de la protection pour un placement en EHPAD en cas de désaccord du parent sur ce changement de résidence.

Mesures de protection juridique et placement en EHPAD
Situation
Qui choisit le lieu de résidence ?
Quand le juge (ou le conseil de famille) intervient-il ?
Rôle du représentant légal
Aucune mesure
La personne âgée elle-même
Le juge n’intervient pas directement. Si la personne ne peut plus décider, une curatelle ou une tutelle doit être envisagée
Aucun
Sauvegarde de justice
La personne conserve tous ses droits, donc elle choisit elle-même
Le mandataire spécial, s’il existe, n’a aucun pouvoir sur le lieu de résidence
Curatelle
La personne choisit si elle en est encore capable
Si la personne refuse, ne peut pas exprimer sa volonté ou en cas de conflit familial
Le curateur accompagne et assiste
Il peut signer le contrat
Tutelle
Si elle ne peut plus consentir ou en cas de désaccord, le juge (ou le conseil de famille s’il existe) statue
Le tuteur propose et exécute la décision, toujours sous contrôle du juge
Habilitation familiale
En cas de difficulté, selon l’étendue de l’habilitation, le juge peut être saisi
Le proche habilité agit dans le cadre fixé par le juge lors de l’habilitation ou d’une saisie ultérieure

Comment saisir le juge pour placer un parent en EHPAD ?

Lorsqu’un parent protégé (sous tutelle ou curatelle) refuse d’entrer en établissement malgré un danger avéré, le juge des contentieux de la protection peut être saisi. Voici les étapes essentielles :

1. Constituer un dossier médical solide

  • Joindre un certificat médical circonstancié établi par un médecin indépendant de l’établissement d’accueil ;
  • Préciser que l’état de santé rend le maintien à domicile[5] impossible.

2. Rédiger une requête au juge

  • Exposer les motifs de la demande (sécurité, perte d’autonomie, impossibilité de consentement éclairé) ;
  • Indiquer si la personne peut ou non être entendue par le juge.

3. Transmettre la demande au tribunal judiciaire

  • Adresser la requête au juge des contentieux de la protection du lieu de résidence du parent ;
  • Joindre les pièces médicales et, si possible, un avis familial ou social (médecin traitant, CLIC[6], etc.).

4. Décision du juge

  • Après examen, le juge peut autoriser le placement en EHPAD, dans le respect de la dignité et de l’intérêt supérieur de la personne protégée.

Bon à savoir : si le placement implique la vente du logement ou la rupture d’un bail, une autorisation distincte du juge (article 426 du Code civil) est obligatoire.

cette femme senior atteinte d'Alzheimer ne peut plus décider pour elle-même

Le rôle de la personne de confiance et des directives anticipées

La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie[7] a renforcé deux dispositifs importants :

La personne de confiance

Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance (parent, proche ou médecin traitant) qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté. Cette désignation se fait par écrit et est révocable à tout moment.

Si le parent âgé a désigné une personne de confiance, celle-ci pourra témoigner de ses souhaits concernant un éventuel placement en EHPAD. Toutefois, son avis est consultatif et non décisionnaire.

Les directives anticipées

Bien que les directives anticipées concernent principalement les souhaits relatifs à la fin de vie, une personne peut également y exprimer ses volontés concernant ses conditions d’hébergement futures si elle devenait incapable d’exprimer sa volonté.

L’hypothèse d’un désaccord entre les enfants

En pratique, le placement d’un parent en EHPAD peut générer des tensions importantes entre les enfants, certains y étant favorables, d’autres opposés.

Absence de décision unanime : que dit la loi ?

D’un point de vue strictement juridique, la loi n’exige pas l’unanimité des enfants pour le placement d’un parent en EHPAD. Ce n’est pas une décision qui relève de l’autorité des enfants, sauf si l’un d’eux a été désigné comme tuteur ou curateur.

Cependant, dans le cas d’une personne âgée qui ne peut plus exprimer clairement sa volonté et en l’absence de mesure de protection, les établissements d’hébergement préfèrent généralement s’assurer d’un consensus familial pour éviter d’éventuels conflits ultérieurs.

Les recours possibles en cas de conflit familial

Si le désaccord entre les enfants persiste et risque de nuire aux intérêts du parent âgé, plusieurs solutions existent :

  1. La médiation familiale : faire appel à un médiateur professionnel peut aider à renouer le dialogue et trouver un compromis
  2. La saisine du juge des contentieux de la protection : tout proche peut alerter le juge lorsqu’il estime qu’une personne vulnérable est en danger
  3. Le signalement auprès du procureur de la République : en cas de suspicion de maltraitance ou de mise en danger

Le cas particulier de l’hospitalisation sous contrainte

Dans certaines situations exceptionnelles, lorsque la santé ou la sécurité d’une personne âgée est gravement compromise par son refus de soins, une hospitalisation sous contrainte peut être envisagée.

Cette mesure est strictement encadrée par la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques. Elle ne concerne toutefois pas directement le placement en EHPAD mais plutôt une prise en charge psychiatrique temporaire.

Aspects financiers et implications pratiques

Au-delà des aspects juridiques, la question financière est souvent au cœur des préoccupations et des désaccords familiaux.

La participation financière des enfants

En vertu de l’obligation alimentaire[8] prévue par les articles 205 et suivants du Code civil, les enfants sont tenus de contribuer aux frais d’hébergement de leurs parents lorsque ces derniers ne peuvent pas y subvenir seuls.

Cette obligation est proportionnelle aux ressources de chaque enfant et peut être fixée par le juge aux affaires familiales en cas de désaccord. Elle peut également être invoquée par les établissements ou les services d’aide sociale[9] départementale.

Le contrat de séjour en EHPAD

L’admission en EHPAD se concrétise par la signature d’un contrat de séjour[10]. Ce document doit être signé par la personne âgée elle-même si elle est en capacité de le faire, ou par son représentant légal le cas échéant.

Les enfants peuvent être signataires du contrat à la condition expresse d’avoir le statut de représentant légal (tuteur, curateur ou disposant d’une habilitation familiale).

Certains établissements demandent également la signature d’un « engagement de payer » aux enfants, les rendant solidaires des frais d’hébergement. Cette pratique, bien que courante, n’est pas une obligation légale et peut être refusée.

Exemple de conflit familial face à face entre frère et soeur pour le bien être de leur mère

Recommandations pratiques pour éviter les conflits

Pour prévenir les situations conflictuelles lors du placement d’un parent en EHPAD, voici quelques recommandations :

Anticiper la perte d’autonomie

  • Encourager le parent à désigner une personne de confiance
  • L’inviter à rédiger des directives anticipées concernant ses souhaits de prise en charge
  • Envisager la mise en place d’un mandat de protection future

Favoriser le dialogue familial

  • Organiser des réunions de famille régulières pour aborder sereinement le sujet
  • Consulter ensemble des professionnels (médecin traitant, assistante sociale, etc.)
  • Visiter différents établissements avec le parent concerné

S’informer sur les aspects juridiques et financiers

  • Se renseigner auprès des Centres Locaux d’Information et de Coordination gérontologique (CLIC)
  • Consulter les services sociaux du département
  • Prendre conseil auprès d’un notaire ou d’un avocat spécialisé en droit de la famille

Mandat de protection future et choix du lieu de vie

Le mandat de protection future permet à toute personne majeure d’anticiper sa perte d’autonomie en désignant à l’avance un proche ou un professionnel chargé de la représenter.

  • Peut-on y indiquer son choix de résidence ?
    Oui. Le mandant peut préciser qu’il souhaite rester à domicile, entrer en EHPAD ou choisir un type de structure. Ces indications guident la personne désignée lorsque le mandat prendra effet.
  • Ces choix seront-ils respectés ?
    En principe, oui : le mandataire doit agir conformément aux volontés exprimées dans le mandat. Toutefois, si l’application stricte de ce choix met en danger la personne protégée (ex. maintien à domicile devenu impossible), le juge des contentieux de la protection peut être saisi pour trancher.

👉 À retenir : le mandat de protection future est un outil puissant pour anticiper son lieu de vie, mais le juge reste garant de la protection de la personne en cas de difficulté.

Respect de l’autonomie et protection de la personne âgée

Faut-il l’accord de tous les enfants pour placer un parent en EHPAD ? Pour répondre clairement à la question initiale : non, l’accord formel de tous les enfants n’est pas juridiquement nécessaire pour placer un parent en EHPAD. La décision appartient prioritairement et fondamentalement à la personne âgée elle-même si elle est en capacité de l’exprimer, ou à son représentant légal (tuteur, curateur…) dans le cas contraire.

Cependant, au-delà du cadre légal, l’entrée en EHPAD constitue une décision majeure qui modifie profondément la vie du parent âgé et peut affecter l’équilibre familial. Cette étape mérite d’être abordée avec respect, bienveillance et concertation entre tous les acteurs concernés.

L’équilibre à trouver se situe entre le respect de l’autonomie décisionnelle de la personne âgée et la nécessité de la protéger lorsque sa vulnérabilité l’exige. Dans cet esprit, la recherche d’un consensus familial, même s’il n’est pas juridiquement indispensable, reste socialement et humainement souhaitable.

L’habilitation familiale : une solution plus souple

L’habilitation familiale est une mesure de protection juridique, instaurée par ordonnance du 15 octobre 2015, qui permet à un proche (enfant, conjoint, parent, frère, sœur, partenaire de PACS, concubin…) d’assister ou de représenter une personne majeure dont les facultés mentales ou physiques sont altérées, sans recours au suivi judiciaire régulier imposé par la curatelle ou la tutelle.
Elle peut être générale (couvrant tous les actes de la vie) ou limitée à certains actes spécifiques, selon ce que détermine le juge.
Ce dispositif, qui exige une concertation entre proches et l’accord du juge, est souvent préféré en raison de sa flexibilité et de son caractère plus respectueux de l’autonomie de la personne protégée.

FAQ – Les préoccupations courantes des familles

1. Vais-je pouvoir continuer à voir mon parent aussi souvent qu’avant ?
Oui. Les visites sont libres, sauf contraintes temporaires liées à des raisons sanitaires. Certains EHPAD proposent aussi des espaces dédiés pour partager des repas ou des moments privés en famille.

2. Mon parent risque-t-il de se sentir abandonné ?
Le sentiment d’abandon peut survenir, surtout au début. Il est important de maintenir un lien régulier par des visites, appels vidéo, participation aux activités et implication dans la vie de l’établissement.

3. Qui va s’occuper de mon parent au quotidien ?
Une équipe pluridisciplinaire (aides-soignants, infirmiers, animateurs, médecins) assure les soins, la sécurité et le bien-être. Le suivi médical est continu et adapté à ses besoins.

4. Mon parent pourra-t-il personnaliser sa chambre ?
Oui. La plupart des EHPAD encouragent à apporter des photos, objets personnels, petit mobilier ou linge pour recréer un environnement familier et rassurant.

5. Comment savoir si l’EHPAD choisi est de qualité ?
Visitez-le, échangez avec le personnel, observez l’ambiance, demandez le projet de vie et le règlement intérieur. Vous pouvez aussi consulter les avis d’autres familles et les évaluations officielles.

6. Que se passe-t-il si l’état de santé de mon parent se dégrade ?
L’EHPAD adapte la prise en charge en fonction des besoins, en collaboration avec le médecin traitant et les spécialistes. Si nécessaire, un transfert en unité spécialisée ou à l’hôpital peut être envisagé.

7. Peut-on revenir en arrière si l’EHPAD ne convient pas ?
Oui. Le contrat de séjour prévoit des modalités de résiliation. Il est possible de changer d’établissement ou d’opter pour un retour à domicile avec des aides adaptées.

8. Combien de temps faut-il pour obtenir une place ?
Cela dépend des disponibilités et du niveau d’urgence. Dans certains cas, l’admission peut être très rapide ; dans d’autres, il faut attendre plusieurs semaines ou mois.

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Commentaires (14)

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  1. Mila

    L’habilitation familial signifie quoi?

    Répondre
    1. Amandine

      Bonjour

      Je vous remercie pour votre commentaire.
      L’habilitation familiale est une décision du juge qui permet à un membre de la famille de s’occuper légalement des affaires d’une personne qui n’en a plus la capacité.
      Bonne journée.
      Amandine

      Répondre
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