Au-delà d’une philosophie et d’un concept, l’Humanitude est une méthode de soins qui s’apprend en formation pour être appliquée en maison de retraite. Afin de valider cet apprentissage, l’association Asshumevie décerne un label Humanitude aux établissements engagés dans le processus. Les résidences sont évaluées annuellement, sur une période de 3 à 5 ans avant d’obtenir le label. Sophie Brobecker, chargée de mission chez Asshumevie, nous explique tout sur les conditions d’obtention de ce label.  

Une labellisation pour aider les maisons de retraite à appliquer l’Humanitude

Cap Retraite : Que signifie la philosophie Humanitude dans les Ehpad et les maisons de retraite?

Sophie Brobecker : Avant d’entrer dans un processus de labellisation, les établissements s’engagent dans une démarche de bienveillance et de qualité, via un processus de formation à l’Humanitude.  

C’est une démarche relativement longue : il y a plus de 400 critères pour valider un label Humanitude. Nous estimons qu’il faut à peu près 3 à 5 ans pour que les établissements s’approchent du niveau requis pour demander une visite label.

CR : Pourquoi ce processus de labellisation est-il aussi long?

SB : Il ne s’agit pas d’un label uniquement pour les soins, les techniques ou la cuisine. Il reprend justement toutes les dimensions de la prise en charge : soins, animation, administration, technique, vie sociale, restauration, etc.

Cette démarche demande donc un engagement de tous sur la même ligne de conduite. Elle concerne le déploiement d’outils, mais aussi le développement de la méthode Humanitude. Car il faut aussi du temps pour savoir comment intégrer toute la philosophie. Il est donc indéniable qu’il s’agit d’une démarche à long terme.

CR : Comment l’évaluation des établissements se déroule-t-elle?

SB : Avant la labellisation, les établissements s’engagent entre 3 et 5 ans à remplir le référentiel, concernant ses 400 critères. Le but est de faire un état des lieux la première année, lorsqu’ils s’engagent.

Les établissements ont besoin de tout ce temps pour intégrer le référentiel et ses critères. Une fois qu’ils sont arrivés à peu près à 80% d’acquisition, les structures font une demande de visite label.

Lors de cette visite, nous évaluons tout ce qu’ils ont accompli jusque-là. Nous comparons la théorie et la pratique, pour évaluer la différence entre la philosophie et la réalité sur le terrain.

Communiquer avec la méthode Humanitude

L’Humanitude pour favoriser la bientraitance des personnes âgées

Cap Retraite : Quelle est la valeur du label Humanitude pour une maison de retraite?

Sophie Brobecker : C’est un peu comme tout label. Vous retrouvez aujourd’hui des labels dans différents domaines. C’est un engagement de l’établissement, des structures ou des associations à s’outiller.

Ce label permet de fournir un cadre, de motiver les équipes et de donner une ligne de conduite vers laquelle tendre. Et surtout, il permet de mettre en place un certain nombre d’actions afin de le conserver au fil des ans.

Le label Humanitude est aussi un label de « bientraitance ». Il permet de montrer aux établissements ce vers quoi ils souhaitent s’engager et quel accompagnement ils désirent proposer à leurs résidents.

Nous proposons deux processus. L’un d’eux s’appelle « En route ». Il vise à vraiment aider, outiller et accompagner les structures. Puis, une fois qu’ils sont labellisés, ils ont une analyse à faire une fois par an. 

CR : Combien d’établissements en France adoptent aujourd’hui la pratique Humanitude?

SB : Il y a énormément d’établissements qui réalisent la formation Humanitude, mais tous ne s’engagent pas vers une labellisation. Nous avons vu qu’une labellisation prend du temps et requiert un engagement.

Il y a 26 établissements au total labellisés à ce jour. En outre, 150 établissements sont en route vers le label.

CR : Nous le savons, certains établissements pour seniors connaissent des turbulences ces temps-ci. Les pratiques Humanitude pourraient-elles être une solution vers laquelle se tourner?

SB : Par rapport à l’actualité aujourd’hui, tant avec l’Humanitude que tout autre type de soins, je pense vraiment que les équipes ont besoin d’outils. Elles ont besoin d’un concept de soin et de pratiques cadrées pour accompagner les personnes.

Les scandales sur les maisons de retraite et les chiffres concernant le manque de soignants par résident montrent qu’il existe un vrai besoin. Il faut aider ces professionnels.

Il s’agit de les outiller, de leur apprendre comment aborder une personne qui a des troubles du comportement, comment aider les personnes âgées à se lever, etc. On n’apprend pas tout cela lors de la formation initiale. C’est en cela que la méthode Humanitude aide et outille les soignants à réaliser des soins de manière professionnelle.

Une formation pour permettre aux soignants de mieux aider les personnes

Cap Retraite : Estimez-vous que les métiers du Grand-Âge ont besoin de plus de formation et de modules d’apprentissage complémentaires?

Sophie Brobecker : Bien sûr, les études le montrent. L’enquête « Sortie de COVID » faite par la CNSA avec la collaboration d’Asshumevie et des ARS a montré que les établissements labellisés étaient outillés pour sortir de la crise. L’étude a constaté que la problématique de départ est la formation initiale.

Tous les rapports le disent : il faudrait revoir la formation initiale en complétant par l’Humanitude ou tout autre concept pour aider les personnes. On arriverait peut-être à moins d’épuisement de la part des professionnels et à un meilleur accompagnement auprès des résidents.

Cap Retraite : Quelles sont les carences dans la formation initiale, qui pourraient être comblées par les pratiques Humanitude?

Sophie Brobecker : Je vais être un peu brutale, mais à peu près toutes. Parce que la formation initiale concerne davantage les sujets sanitaires, on parle de projets de soins ou de maladies. Mais on n’apprend pas à aborder une personne, à savoir comment se comporter ou adapter son approche devant une personne qui a des troubles du comportement.

Dans la formation initiale, les professionnels étudient les pathologies et beaucoup de choses d’ordre médical. Mais, ils n’apprennent pas sur le terrain comment réaliser un soin avec quelqu’un qui a des troubles du comportement, une démence, une hémiplégie, etc.

Dans les formations Humanitude, il y a 150 techniques de manutention. On apprend à lier un projet de vie, à comprendre la démence et pourquoi dans les établissements, il y a des moments creux. Nous réalisons que c’est à ces moments-là qu’il y a des troubles du comportement. Nous apprenons comment faire pour que les personnes se sentent comme chez elles, à leur domicile. Il s’agit d’une méthode qui révolutionne vraiment l’approche de la personne.

La formation d’aide-soignante prend un an. Nous comprenons bien qu’en un an, elles ne peuvent pas tout voir. Il faudrait engager ou soutenir le label Humanitude ou un autre label existant, sur ces structures pour aider et professionnaliser les agents.

CR : Attendez-vous plus d’implication de la part du gouvernement pour soutenir ces méthodes de soin?

SB : Oui, nous aimerions déjà plus d’implication et une reconnaissance. À ce jour, très peu d’ARS reconnaissent notre méthode de soins.

Du côté du gouvernement, nous avons des visites de ministres dans nos structures et ils nous soutiennent. Nous sommes cités dans les rapports depuis des années, comme d’autres méthodes de soin d’ailleurs. Toutefois, aucune n’est vraiment identifiée et soutenue, que cela soit par le gouvernement, par les ARS ou par le système.

CR : Que faudrait-il pour initier un changement structurel dans les maisons de retraite?

SB : Il faudrait déjà arrêter de parler de dépendance, mais plutôt insister sur l’autonomie.

Actuellement les maisons de retraite sont financées par ce qu’on appelle « le GMP » au niveau de la dépendance. Si le moyen de financement dépendait aussi de la manière dont le personnel soignant travaille à rendre la personne autonome le plus longtemps possible, nous aurions tous basculé.

Autrement dit, il s’agirait de former les professionnels pour qu’ils favorisent l’autonomie des personnes. Alors qu’aujourd’hui on reçoit des fonds en fonction de la dépendance des gens. Plus ils sont dépendants et alités, plus les moyens accordés sont conséquents.

C’est donc tout le système de financement qui est à revoir. Cela figurait d’ailleurs dans le projet de loi « grand âge », qui se fait encore attendre. C’était l’un des axes forts.

Il faudrait déjà arrêter de parler de dépendance, mais plutôt insister sur l’autonomie.

Sophie Brobecker

CR : Cette loi sur le grand âge est très attendue, pourquoi peine-t-elle à sortir selon vous?

SB : Il ne faut pas oublier qu’il y a eu la crise sanitaire qui a fortement impacté (la sortie de la loi, ndlr). Il est préférable de prendre le temps nécessaire et faire les choses correctement. Sur le terrain nous attendons un changement. Pour l’instant, nous avons rapporté la réalité du terrain. Dans les Ehpad nous constatons qu’il y a 0,7 soignant pour 1 résident, tandis que dans le domaine du handicap, nous avons un ratio de 1 pour 1. Du reste, dans les autres pays, le ratio est de 1 pour 1, voire plus…

Nous parlons beaucoup d’âgisme. La société en France accepte l’âgisme, il y a donc des choix à faire. Aujourd’hui, l’actualité pointe du doigt des problèmes qui existent depuis des années. Des moyens qui ont été promis et qui ne sont jamais arrivés.

Cap Retraite : L’application de l’Humanitude dans de plus en plus d’établissements témoigne d’un véritable désir d’offrir une prise en charge optimale aux résidents. En attendant la loi « grand âge », des initiatives existent et œuvrent à pallier les manques de moyens. Des dispositifs de maintien à domicile comme Ma Prime Adapt’ ont récemment été mis sur la table. Cependant, les professionnels attendent encore des actions plus concrètes sur le terrain. Car préserver l’autonomie des personnes âgées est une priorité pour le bien vieillir.  

 

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Yaël A.,Rédactrice chez Cap Retraite

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